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Interview

Mathieu TURI, réalisateur et scénariste de Hostile & prochainement Méandre.

- Bonjour Mathieu !
Comment fait-on un film aussi solide visuellement, avec des effets aussi détonants, lorsqu'on a seulement un gros million d'euros à sa disposition ?!?

On s'entoure bien. C'est la règle numéro 1. Déjà, j'ai eu la chance d'avoir de bons producteurs, dont l'envie de faire naître ce film a été constante et totale depuis le début. Ensuite, j'ai pu travailler avec d'excellents éléments, comme Jean-Christophe Spadaccini, qui a désigné puis fabriqué notre créature. Mais elle n'aurait pas pu fonctionner sans le talent de l'immense Javier Botet (REC, Mama, IT), un acteur formidable aux talents multiples, qui utilise son corps étrange et squelettique comme une véritable oeuvre d'Art. Et on essaye, à chaque fois, de travailler avec les meilleurs partenaires possibles... Un bon chef op, de bons acteurs, des décors de dingues étalés sur 3 continents (!). On peut dire que pour mon premier long, j'ai pu m'amuser avec tous les jouets du coffre : flingues, explosions, monstres, cascades de bagnole, caméras sur grue, sur buggy... On a tourné au Maroc, à New York et un peu à Paris. Bref, en réalité, il faut trouver les bons partenaires, et bien entendu, des gens prêts à faire des efforts, des grosses journées, beaucoup de pression... Mais des gens qui croient au projet au moins autant que toi. Et j'ai eu cette chance.

 

- Je serais très curieux de savoir la teneur de tes influences concernant Hostile ?

Bizarrement, les trois influences majeurs ne sont pas du cinéma. En tout cas pas à la base. Deux bouquins (deux chefs-d'oeuvre) que je relis une fois par an : THE ROAD de Cormac McCarthy, un livre encore plus froid et glaçant que son adaptation ciné, dont chaque ligne transpire une sorte de vérité crasse sur la chute du monde moderne, et le retour à des instincts animaux, le tout basé sur la relation entre un père et son gamin... Et quelle fin ! Mais le deuxième bouquin qui m'inspire est encore plus légendaire : I AM LEGEND de Richard Matheson. Là aussi, quel putain de chef-d'oeuvre ! Et malgré de multiples adaptations ciné, aucune ne lui arrive à la cheville. Et enfin, le troisième pilier de ma sainte trinité fut le Citizen Kane du jeu vidéo : THE LAST OF US. Une véritable pépite vidéoludique, aux personnages incroyables, avec une relation profonde et complexe entre Joel et Ellie, une fin à la fois d'une finesse extrême et d'une émotion énorme... Bref, un monument. Après, quand tu vois le niveau de ces trois colosses, ça te calme sec, mais au fond, ça te permet d'avoir des influences directes ou indirectes, qui t'aident à raconter ton histoire le mieux possible.

 

- Qu'est ce que Xavier Gens (producteur) a apporté à Hostile ?

Il a, littéralement, « apporté » Hostile. Xavier a été pour ainsi dire mon mentor, mais c'est surtout un ami et quelqu'un que je respecte énormément (et pas seulement parce qu'il déchire à "StarCraft 2" ou "League Of Legend" !!). Alors que je n'avais fait que deux courts métrages, il m'a aidé à monter Hostile, en me présentant différents producteurs, entre 2013 à 2015. On a essayé de monter le projet de différentes façons, jusqu'à ce qu'il me présente à mes producteurs actuels (FullTime). Il m'a également conseillé, juste avant qu'on lance le casting, de rencontrer la comédienne Brittany Ashworth, avec qui il venait de travailler, et qui est devenue Juliette dans Hostile. En véritable parrain, il a véritablement été à la base de toutes ses rencontres qui ont permis que le film existe. Encore une fois, merci à toi, Xav'.



- Où en est ton prochain film, Méandre, que peux-tu nous en dire (le pitch nous rappelle Cube ou Eden Log) ?

C'est un tout autre film. Avec déjà près de trois fois le budget de mon premier film, le tout tourné dans un studio. Donc on a pu mettre la barre bien plus haut. Je ne peux pas trop en parler, et je tiens à garder pas mal de surprise sur le film, mais j'avais cette envie de faire un huis-clos où, paradoxalement, le protagoniste n'a pas autre choix... que d'avancer ! C'est donc un film perpétuellement en mouvement (et ça, ça coûte cher), où je voulais que chaque plan soit différent, que le décor évolue en permanence, et que le côté SF/horreur soit assumé du début à la fin. On a pu terminer le montage juste avant le confinement, donc la post-prod se poursuit à distance pour le moment, et on sera dans les temps pour les festivals de fin d'année avant une sortie en 2021. J'ai hâte d'en montrer plus, et même s'il reste beaucoup de boulot, je suis très fier du film.

 

 

- Remontons le temps si tu le veux bien : peux-tu nous parler de ton expérience auprès de Tarantino, Eastwood ou G. Ritchie ? ?

Ouh là, ça commence à remonter... Mais ce fut une expérience de dingue. J'ai eu la chance de travailler en tant qu'assistant réa sur de (très) gros films. Le premier c'était G.I. Joe de Stephen Sommers. Donc pour un baptême, c'était pas mal ! Le second fut Inglourious basterds de Tarantino, et là, pour le coup, j'ai eu du mal à réaliser. Faut se remettre dans le contexte : en décembre 2008, quand ils tournent la (petite) partie française, j'ai 21 ans, je sors de l'école (ESRA PARIS) et je suis un fan ultime du bonhomme. Alors quand on te dit que tu vas bosser sur l'un de ses films, même si c'est pour bloquer des rues ou aider à placer la figu, je peux te dire que tu te pinces en arrivant le matin. Et là où je m'attendais à ne rien voir du plateau, j'ai pu véritablement voir travailler le maître. Ce fut ensuite le cas avec Eastwood, Ritchie, Woody Allen, et d'autres, pendant 6 ou 7 ans où j'ai gravi les échelons de l'assistanat... Ce fut la meilleure école du monde !

 

- Serais-tu prêt à faire confiance à des Netflix ou Disney+ pour la suite de ta carrière ?

Oui. Évidemment. Et je n'en dirai pas plus pour le moment. :)

 

- Qu'est ce qui pourrait donner aux films de genre une vraie impulsion en France ?

L'impulsion, l'air de rien, elle est en train de se faire. Depuis Grave de Julia Ducournau ou Revenge de Coralie Fargeat, et de mon côté avec Hostile et bientôt Méandre, sans parler des gens de la génération précédente qui continue de faire des films de genre (Gens, Bustillo, Maury, etc...), je peux te dire qu'on sent tous que, tout doucement, les choses évoluent dans le bon sens. Oui, c'est long, c'est difficile, mais là où on avait au mieux deux films par an, tu verras ce qui arrive en 2021/2022... Il y aura sur cette période, au moins une dizaine de films de genre français. C'est une différence énorme, et il faudra bien surveiller la reception de ces films. Et avec les plateformes et la dynamique et les changements qu'elles entrainent dans leur sillage, c'est le meilleur moment pour en faire. Ça ne veut pas dire que c'est facile, on a toujours peu de guichets, donc les budgets restent souvent autour de 3 millions, mais ça aussi, ça finira par changer. Et pour une raison simple : les producteurs changent aussi. La nouvelle génération commence à prendre la place, et leurs envies sont différentes. Après, attention, c'est pas non plus la révolution, et c'est toujours un tanné de parler de genre en France... Mais on va dire que ça l'est un tout petit peu moins depuis quelques années. Quoiqu'on en pense, le monde change à tous les niveaux, et c'est dans les changements que naissent les impulsions nouvelles.

 

 

- En tant que jeune auteur avec qui rêves-tu de travailler, tous métiers confondus ?

Travailler je ne sais pas, mais partager et rencontrer des gens que j'admire, c'est quelque chose que j'ai déjà pas mal pu entamer grâce à Hostile. Par exemple, je suis un fan ultime de Hideo Kojima, le créateur de la saga METAL GEAR SOLID, et récemment de DEATH STRANDING. Quand Hostile est sorti en salle au Japon, j'ai eu l'incroyable surprise de recevoir un message de sa part, disant qu'il avait adoré le film et qu'il voulait faire une quote sur l'affiche japonaise ! Depuis, on échange et on se suit sur les réseaux, et j'ai pu le rencontrer lors de son passage à Paris en octobre dernier. C'est un artiste que j'admire énormément depuis que je suis ado, et jamais je ne pensais pouvoir le rencontrer un jour et échanger avec lui comme je le fais aujourd'hui. J'ai eu également une bonne étoile le jour où, en plein repérage à New York, moi et mes producteurs avons croisé la route de Dieu en personne, Steven Spielberg. Il fut assez gentil pour prendre 10 minutes de son temps pour parler avec nous de cinéma, de notre projet de tourner Hostile ici quelques mois plus tard, etc... J'ai vécu un rêve éveillé ! Après, bien entendu, il reste une tonne de gens que j'aimerai rencontrer... James Cameron, Peter Jackson et tant d'autres, mais je ne suis pas à plaindre, car avec mon ancien métier d'assistant, j'ai déjà un beau palmarès ^^.

 

- Est ce que tu as un plan de carrière ? Serais-tu prêt à tenter une expérience outre Atlantique ?

On en a tous un. Pas le choix si tu veux faire des films, il te faut des dizaines de projets en route pour qu'un ou deux prennent racines et finissent par voir le jour. Donc oui, j'ai un plan, mais c'est plus un plan de bataille qu'un plan de carrière. Des projets, différents, ambitieux, petits, moyens et gros budgets, français, anglais, films, séries... On développe, on écrit, sans cesse. Et j'ai la chance que plusieurs d'entre eux soient actuellement à un stade qui permet d'espérer tourner quelque chose bientôt. Et pour répondre à ta question sur un tournage aux US, on verra bien. J'ai forcément un background dans l'assistanat sur des films américains, Hostile est un film en anglais qui a bien marché à l'international... Donc forcément, on discute, je lis des choses... Mais j'attends le bon projet et tout dépend du script, du projet, de ce qu'il peut m'apporter. Un film c'est deux ans de ta vie, alors crois-moi, quand on te dit « go », t'as intérêt à être sûr de ton choix.

 

- Tu te vois, un jour, réaliser une comédie avec K. Merad ou C. Clavier ?

Je ne sais pas. Je ne pense pas. La comédie n'est pas vraiment mon univers, j'en regarde peu, et je pense que ça nécessite un véritable savoir faire dans certains domaines que je ne maîtrise pas forcément. Mais encore une fois, on ne sait jamais. Même si, sur le papier, ce n'est pas du tout dans mes projets à venir. Je m'amuse bien plus avec des monstres.

 

- Quels sont les derniers chefs-d'oeuvre que tu ais vu au cinéma ?

Des bons films, un paquet, comme Invisible man, que j'ai trouvé ultra maîtrisé dans ce qu'il propose, ou Le chant du loup, cocorico bordel !... Des chefs-d'oeuvre par contre... euh... Ça remonte un peu, et c'est tellement subjectif. Ah si, en récent, l'évidence Parasite... Grosse claque. Mais après j'ai passé 2019 à développer et tourner Méandre, donc pas beaucoup de ciné (et ça va pas s'arranger avec le confinement et les projets à venir). Du coup, si je devais te dire les claques ultimes au cinéma qui m'ont complètement retourné la tête ces 10 dernières années... il y a Avatar (7 fois en salle), Fury road (mon dieu que c'est dingue), The social network, Gone girl (Oh et puis merde, tout ce que fait Fincher en fait), Ready player one (un orgasme geek), Whiplash (un premier film qui calme), Premier contact (adapté du bouquin de Ted Chiang, un auteur incroyable que je recommande à tous les fans de SF), Inception (ouais, tout Nolan en fait), Ex machina (encore un putain de premier film), Vice versa (si tu pleures pas, t'es pas un humain), bon... en fait y'en a plein... Et ça donne envie de retourner au cinéma ! Alors quand tout ce bordel digne d'un film de SF sera terminé, n'oubliez pas de soutenir les salles de cinéma, qui en auront bien besoin ! En attendant, #stayhome, et à bientôt pour une toile .

 

- On n'y manquera pas ! Merci Mathieu pour cet entretien passionnant et passionné.