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INTERVIEW de Agnès MERLET, réalisatrice de HIDEAWAYS

 

 

Tout d'abord merci infiniment de m'accorder un peu de ton précieux temps.

Parle-nous de ton nouveau film, Hideaways (sortie le 23 novembre), quel est le pitch ?

Dans la famille Furlong, l’aîné de chaque génération est doté d'un pouvoir extraordinaire, pour le meilleur ou pour le pire. James, le dernier de cette lignée, orphelin de mère, découvre la nature du sien lors d'un accident qui cause la mort de son père et de sa grand-mère. Hanté par ce mal mystérieux, il se retire au plus profond de la forêt pour ne plus nuire à ses proches. Quelques années plus tard, Mae, une adolescente en révolte et atteinte d’un mal apparemment incurable, se réfugie elle aussi dans la forêt, et rencontre James. Ils tombent amoureux. Leur amour va-t-il résister à la “malédiction” de James ?

D'où est venue l'idée de ce film ?

J'ai été séduite par le script original de Nick Murphy, un jeune auteur d’origine irlandaise. Il m'a été proposé par Jean-Luc Ormières, l’un des producteurs délégués de Hideaways qui s'était déjà occupé du montage financier sur Dorothy. C'est la première fois que je choisis un sujet dont je ne suis pas à l'origine. Dans le scénario, j’aimais les changements de ton, notamment cette sorte de prologue burlesque qui renforce, a contrario, l’émotion suscitée par la suite du récit. Mais avant tout le script abordait des thèmes qui me sont proches : le passage à l’âge adulte dans un environnement familial violent, la difficulté de communiquer avec le monde extérieur, la campagne, milieu où j'ai passé mon enfance, et la maladie. Mon frère est mort de la même maladie que l’héroïne, au même âge… Tout cela, je n’avais pas su ou osé l’aborder dans mes propres scénarios. Le script de Nick Murphy me le permettait sans sombrer dans la noirceur, en allant vers la lumière.

L'enfance, l'adolescence sont des thèmes qui sont souvent au coeur de tes films (Le fils du requin, Dorothy, Hideaways), d'ailleurs Hideaways semble répondre à ton 1er film où deux ados devenaient des enfants sauvages ; Dorothy et Hideaways ont en commun le thème d'une "malédiction". Alors d'où viennent ces obsessions, l'attirance pour ces thèmes ?

Il y a des choses que l'on a vécu et que l'on ne peut pas renier. Elles ressortent quoique l'on fasse. Sans être purement autobiographique, mes films ont toujours une part très personnelle en eux qui revient de film en film. Dorothy est un thriller psychologique avec un développement surnaturel. C’est un film qui joue sur les codes du genre mais qui ne se contente pas seulement de chercher à faire peur. Au-delà des phénomènes dont il parle, le film aborde plusieurs thèmes comme la compassion : est-ce un sentiment généreux et gratuit, ou est-il provoqué par le besoin de se guérir d’un sentiment de culpabilité ? Jusqu’où peuvent aller les dérives d’une communauté religieuse intégriste ? Qu’est-ce qu’une personne folle peut provoquer sur ceux qui l’entourent ? Hideaways recrée un monde imaginaire qui symbolise un univers idéal où la mort servirait à quelque-chose. C'est la mort qui fait renaître la vie comme le cycle de la nature évoqué à la fin du film, celui des feuilles mortes qui fabrique le terreau où les nouvelles graines vont pouvoir pousser pour redonner de nouvelles feuilles. Il y a toujours dans mes films un personnage qui symbolise l'ange qui va révéler au monde une autre vision des choses, un peu comme L'IDIOT de Dostoïevski.

N'est-ce pas frustrant pour un réalisateur de voir que son film, Hideaways dans le cas présent, sort en période forte concurrence (Les immortels, Or noir d'Annaud, Time out de Niccol, le nouveau Ratner et le nouveau cartoon de Laguionie, entre autres) ; on peut se dire qu'il a moins de chance de rencontrer son public ?

Ce sont des éléments commerciaux que l'on ne peut pas gérer. Il n'est pas toujours facile de se battre contre des moulins à vent

Ta carrière a semble-t-il connu un tournant avec le film Dorothy : tu changeais de registre en abordant de front le genre fantastique, est-ce un genre que tu apprécies particulièrement ? As-tu des références dans ce domaine, des incontournables ?

Faire des films fantastiques n'est pour moi qu'une continuation de ce que j'avais alors esquissé. Déjà, Le Fils du requin faisait des incursions dans le fantastique, par exemple lorsque Martin, le héros, se projetait dans Les Champs de Maldoror de Lautréamont et s'imaginait vivre dans un monde aquatique. D'ailleurs le film n'était pas loin d'être un conte contemporain, même s'il n'en possédait pas tous les codes. Je me suis nourrie au cinéma expérimental lors de mes études aux Beaux-Arts. C'est là que j'ai découvert Le Sang d'un poète, de Cocteau, Le Mystère du Château du Dé de Man Ray, les films des surréalistes dont Le Chien andalou et L'Age d'or, et d'autres films de Luis Buñuel comme L'Ange exterminateur ou encore Meshes of the afternoon de Maya Deren. Ces films ont été marquants pour moi. Je faisais à l'époque moi-même des films expérimentaux qui flirtaient avec ce même univers étrange. Au moment de Dorothy c'était plutôt des films des années 50-60 anglo-saxons comme Carnival of souls, Le villages des damnés ou encore The Wickerman et surtout Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg.

As-tu remarqué que très peu de femmes s'attaque au genre fantastique : serait-ce un cinéma plus masculin ?

C'est ce que l'on dit. Il y a aussi moins de femmes réalisatrices, le pourcentage par rapport aux hommes est peut-être le même en ce qui concerne les films de genre.

Le cinéma fantastique français a beaucoup de mal à s'imposer en France face à la concurrence US : quel est d'après toi le problème de ce cinéma de genre made in France ?

Le fantastique n'est pas dans la tradition de la culture française. Toute la littérature fantastique vient des pays anglo-saxons ce qui s'est prolongé avec le cinéma. Pour ma part on me reprochait souvent de faire des projets trop anglo-saxons. D'où ma décision de passer le pas. J'ai pris conscience que la seule possibilité de garder l'univers noir que je décrivais, c'était de l'aborder sous un autre angle, le film de genre. Dans le cinéma anglo-saxon, le travail sur le genre permet autant qu’avec le film d’auteur d’exprimer une vision du monde personnelle. Et puis la langue anglaise permet de trouver d'autres sources de financement qui n'obligent pas, par exemple, à chercher des acteurs « bankables » sur le marché français, dont l'agenda est bien rempli.
Je suis allée voir les producteurs de Fidélité qui, eux-mêmes, désiraient produire des films anglophones. Notre première collaboration a été Dorothy. Le film a marché convenablement, et surtout s’est beaucoup vendu à l’étranger. Et Hideaways en est la suite logique.

Dorothy est une co-prod' avec le Royaume-Unis, Hideaways avec l'Irlande : est-il si difficile de monter un film de genre sur des fonds 100 % français ou est-ce seulement par rapport au cadre du tournage ?

Dorothy et Hideaways sont tous les deux des co-productions Franco-Irlandaise. Le financement est intrinsèquement lié à la nature des films : des sujets qui se passent en Irlande avec une réalisatrice française.

Tes deux derniers films mettent en scène des acteurs peu ou pas assez connus du grand public : comment abordes-tu le choix des acteurs ?

Que ce soit Carice Van Houten pour Dorothy ou Rachel Hurd-Wood pour Hideaways, les actrices qui tiennent les premiers rôles sont internationalement connues. Le problème, c'est qu'en France on ne les connait pas. Elles ont beaucoup plus de poids sur le marché international.

Quelle importance accordes-tu aux chiffres du box office : à la sortie de tes films es-tu rivé sur les tableaux hebdomadaires ?

Les tableaux des chiffres sont tellement affichés partout, dans tous les magazines que vous ne pouvez pas y couper. Même vos amis qui ne sont pas dans le cinéma vous en parlent. On a l'impression que pendant une période votre film ne se résume qu'à des numéros.

Agnès : 4 longs métrages en 17 ans c'est peu ; c'est un rythme que tu t'imposes ? Pourquoi ?

Après mon second film, Artemisia, un film d'époque avec les contraintes inhérentes au genre, je voulais revenir à un projet plus léger d'un point de vue logistique et plus libre au niveau de la mise en scène. J'avais écrit un scénario qui s'appelait L'imbécile, et qui prolongeait des thèmes abordés dans Le Fils du requin, notamment la violence chez les adolescents. Il se passait dans le milieu des étudiants aux Beaux-Arts. Mais après avoir relancé le projet plusieurs fois, il n'a pas abouti. Peut-être faisait-il peur, en particulier aux chaînes de télé ? En France, on trouvait le projet trop anglo-saxon. j'ai travaillé 7 ans sur ce projet, il a été préparé en production deux fois pour être arrêtéà chaque fois. Cela m'a fait perdre pas mal de temps.

Est-ce que tu es une réalisatrice qui revoit ses propres films : aurais-tu envie parfois de les modifier ?

J'aimerai bien réecrire et retourner tous mes films. C'est pour cela que je ne les regarde pas.

Quelle est ton opinion sur la mode 3D actuelle : est-ce un domaine que tu aurais envie d'explorer ?

Je pense qu'on en est aux balbutiements. C'est un peu comme les débuts du Dolby où les gens faisaient joujou avec des gros effets de son qui vous arrivaient dans le dos. Je pense que lorsqu'on aura du recul ce sera un matériau intéressant. Pour l'instant, cela reste très lourd au tournage.

Imagine : demain un producteur américain te propose de tourner Iron man 4 ou Captain America 2 ; tu signes sans tiquer ?

Pourquoi pas cela peut-être amusant mais j'essaie de garder le contrôle artistique en étant productrice.

Question classique : quels sont les derniers films que tu aies vu et apprécié ?

J'ai beaucoup aimé L'Appolonide de Bertrand Bonello. Il y a une grande maitrise de la mise en scène. Sinon j'ai été assez bluffée par Polisse de Mawien. Et deux autres films totalement différents : Drive et Hors Satan de Bruno Dumont, sans oublier L'exercice de l'état de Pierre Scheoller. Beaucoup de films français, ça c'est réjouissant.

As-tu des projets ciné dans un avenir plus ou moins proche ?

Des projets oui j'en ai, c'est un peu tôt pour en parler.

Merci encore et à bientôt !