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INTERVIEW de Gilles De Maistre réalisateur de Mia et le lion blanc

Qu'est-ce que G. De Maistre, le réalisateur de documentaires, apporte au réalisateur de fiction ?

C'est une question extrêmement large : Le documentaire c'est 35 ans de ma vie, 35 ans que je cours le monde, 35 ans que je raconte des histoires, des dizaines et des dizaines, si ce n’est des centaines d'heures de la vie des gens, d’histoires réelles. C'est ça qui me nourrit et qui m'inspire, qui permet au réalisateur de fiction de faire des films ancrés dans la réalité, aussi bien dans les messages que j'essaie de faire passer -même si je n'ai pas fait énormément de fiction- que dans la facture, ainsi que dans la nécessité pour moi d'avoir toujours une référence réelle dans mes films.
Maintenant dans Mia, l'expérience réelle est flagrante : c'est de créer cette relation entre cette petite fille et ce lion, d'y passer le temps suffisant pour que c'est l'air vrai et que l'émotion, cette authenticité, passe vers le spectateur ; et il fallut 3 ans de tournage pour obtenir ce résultat. C’est d'abord moi le premier spectateur de tout ça et c’est surprenant de voir une relation se créer en vrai, de pouvoir l’insérer dans une histoire de fiction, dans une aventure familiale qui me fait vibrer et qui après, je l'espère, fera vibrer les gens.

En quoi Mia aurait été différent si le film avait été un docu ?

La chasse aux lions, la chasse des grands animaux dans le monde, la destruction de la nature, l'utilisation de la nature à des fins de distraction pour l’espèce humaine, sont des problématiques souvent abordées dans les documentaires, dans les livres, dans des articles, et que des gens peuvent trouver facilement. C'est quelque chose qui s’adressent à des spécialistes ou des personnes déjà passionnés par ces thématiques et pas forcément au grand public ; notamment les enfants. Pour ma part quand j'ai découvert que la chasse aux lions existait et que, surtout, je l'ai découvert en faisant un documentaire à travers le regard d'un enfant qui vivait réellement dans une ferme qui éleve des lions, je me suis demandé ce que penserait cet enfant, amoureux de la nature, le jour où il découvrirait que que ses parents vendaient des lions à des chasseurs ? C'est comme ça que l'histoire est née. Ce message là, le choc de cet enfant, choc que l'on pourrait tous ressentir face à quelque chose de totalement délirant, prétentieux, injuste, et inhumain, je me suis dit que ce message devait passer auprès d’un public familial, c'est pour ça que j'ai voulu créer un film d'aventure, un film amusant, émouvant, touchant, drôle par moment, et surtout spectaculaire. Ce qui n'aurait pas été possible avec un documentaire, parce que mon idée était qu’un enfant de 5 ans puisse voir Mia et en sortir ému, touché, heureux et surtout être interpellé, peut-être en parler avec ses parents après ; et c'est ce qui s’est passé et c’est ça qui me comble
Pour la petite histoire : j’ai 6 enfants, dont 4 qui ont entre 2 et 9 ans, évidemment c’est mon 1er public et quand je fais un film, je le fais d’abord pour eux, pour qu’ils puissent le regarder, qu'ils puissent en tirer du plaisir. C’est vrai que certains critiques, certaines personnes ont trouvé que le film était peut-être naïf, un peu simple, mais je l'assume complètement, car je voulais que ce film touche un public le plus large possible.

Comment expliquez vous le succès de "Mia" notamment en France : on attendait plutôt "Rémi sans famille" à Noël ?

Il y a énormément de films familiaux qui sont sortis à Noël, pas uniquement Rémi sans famille (Mary Poppins, Le Grinch, Astérix…), c'est vrai que Mia était peu attendu, était un challenger. Tout d’abord parce que beaucoup de ces films avaient des sujets que les gens connaissent ; évidemment j'étais le seul totalement "inconnu", avec une histoire totalement nouvelle, une méthodologie qui n'avait jamais été expérimentée. C'était difficile de s'y attendre.
Comment je l’explique ? Moi je crois que, modestement, dans la vie il y a une chose qui marche : quand on est sincère, quand on porte quelque chose avec beaucoup de foi, on a des chances d'être mieux entendu. Et c’est vrai que l’on a fait, avec tous les gens qui ont travaillé sur Mia, dont Prune, ma femme, qui a écrit scénario, on a vraiment fait quelque chose qui était pour nous totalement essentielle et vitalle.
Ensuite je pense qu'aujourd'hui le cinéma est devenu beaucoup plus compliqué. En 10 ans ça c’est extrêmement dégradé avec l'arrivée de Netflix ou d'Amazon qui proposent du spectacle à la maison pour peu cher, alors que le cinéma reste coûteux et que les gens se doivent de faire attention à ce qu’ils vont voir. On ne peut plus proposer quelque chose de banale, que les spectateurs peuvent voir à la TV, il faut leur proposer des films qu’ils ne voient pas ailleurs afin qu’ils soient prêts à dépenser 5-10 € par personne (plus les pop-corn, la boisson, etc...) ; ça fait déjà une grosse somme et il faut qu’ils soient sûrs d'aller voir quelque chose qui leurs laisse un souvenir indélébile. Donc je pense que l'histoire de cette petite fille et de ce lion est suffisamment spectaculaire pour que les gens aient envie d'aller voir le film, en France (près d'1,4 million de spectateurs) et en Italie (près d'un million) et partout dans le monde. Après je n’ai pas vu Rémi sans famille, je ne peux pas juger, mais je pense que les spectateurs vont plutôt voir ce genre de film à la télévision.


"Mia" est clairement une œuvre militante : selon vous, le cinéma peut-il réveiller les consciences ?

Je pense que toute oeuvre d'art a également comme but de raconter le monde et peut-être, effectivement, d’éveiller les consciences. Ce n’est pas forcément quelque chose de didactique ou d’ennuyeux. Eveiller les conscience ça peut se faire de manière plus émotionnelle, et c'est vraiment le but de Mia : ne pas poser de thèse frontale mais, à travers quelque chose de touchant, alerter les consciences de manière extrêmement modeste. Sur ce genre de thématique, à savoir la destruction de la nature, il y a beaucoup de gens qui se battent et c’est un message qui passe de mieux en mieux. Je pense que c’est une lame de fond et que l'écologie est quelque chose à propos de laquelle les gens sont de plus en plus inquiets et pensent qu'il faut se mobiliser. Le problème est de savoir ce que les gens peuvent faire face à la destruction de cette nature ? C'est ça aussi l'idée du film : chacun peut sauver le monde en faisant quelque chose d'unique, de simple ou de “petit”, mais c'est l'accumulation de tout ça qui fait que l’on avance.
Mia, en sauvant son lion, montre à tous les enfants qui verront le film que l'on n'est jamais trop petit pour changer les choses. C'est ce que j'essaie aussi d'apprendre aux enfants et c'est le message essentiel du film. Ce sera également le message de mon prochain film, Demain est à nous (documentaire qui sortira le 25 septembre prochain, chez Disney) qui sera un tour du monde des enfants qui veulent changer le monde, des enfants militants, engagés, qui se battent aussi bien pour changer leurs conditions de vie que celles des autres. En Bolivie, des enfants qui travaillent dans des mines créent des syndicats pour améliorer leur situation ; Un jeune américain collecte des Lego et les redistribue aux enfants en Ouganda ; en Inde les enfants des rues ont créé un journal ; en Guinée une fillette se bat contre les mariages forcés...etc.
Ce message, très importants pour moi, passe à travers mes films.

Filmer un animal est réputé complexe : alors, comment cela s'est-il passé sur le tournage ?

Travailler avec un lion n’est pas évident : tout le principe du temps passé avec l’animal durant le tournage fait que l’on crée une relation entre lui et l’enfant. Le lion n'a jamais été dressé, il est apprivoisé -mais c’est vrai que l’on a eu un lion exceptionnel-, il a participé au tournage comme un acteur. C'est ça qui était magique. On avait une actrice extraordinaire, courageuse (D. de Villiers est incroyable), un lion incroyable, et finalement tout ce que l'on dit sur la difficulté à tourner avec des animaux, je ne l’ai pas forcément ressentie. Cependant il faut imaginer qu’à la fin du film (On a tourner sur 3 ans, en 4 blocs), le lion est adulte, c’est un molosse d’une puissance absolument extraordinaire, c’est peut-être l'animal le plus puissant de création, et nous nous étions tous dans des cages et ça, ça crée évidemment des difficultés de tournage, mais pas forcément lié à lui, qui a plutôt bien joué le jeu !


Quel est votre regard sur le cinéma usant /abusant de trucages (notamment les CGI en lieu et place des animaux) ?

C’est assez amusant : le petit américain dont je parlais tout à l'heure, celui qui distribue des Lego en Ouganda, il n'avait évidemment pas encore entendu parler du film puisque celui-ci ne sort que le 12 avril aux États-Unis ; donc je lui montre le premier trailer, où l’on voit parfaitement la relation entre Mia et le lion, et à la fin il me dit : “C’est incroyable ce que tu as réussi à faire avec les effets spéciaux, on dirait que c’est vrai !”. C’est amusant de voir à quel point ils sont complètement formatés sur ce genre de choses, ils ne peuvent même pas imaginer que ce qui se passe à l’écran soit vrai !
Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui ont vu le film et qui ne le savaient pas non plus, mais ça crée quelque chose d'unique qui fait que les spectateurs vibrent, sursautent, pleurent ou rient vraiment ; parce qu'il y a comme une tension qui se crée de par cette réalité, cette authenticité ; ce qui fait qu'on a quelque chose d'assez incroyable.
Moi je n’ai absolument rien contre les trucages parce que je trouve que l’on fait des films extraordinaires avec les effets spéciaux. Le cinéma américain d'aujourd’hui est tellement fabuleux. Après je pense que le cinéma peut explorer plein de voies, pour ma part il se trouve que cette voie est un peu devenue ma marque de fabrique, ma patte, et que c'est quelque chose qui m'intéresse vraiment parce que, comme je le disais au début, c’est moi le premier spectateur de mes films : voir l'alchimie qui se crée devant la caméra, cette relation qui me fait tellement vibrer et qui, je l’espère, après, fera vibrer les spectateurs
Après, évidemment, il va y avoir une limite avec les effets spéciaux, au bout d'un moment, je ne sais pas comment on pourra faire mieux que ce que l'on fait aujourd'hui. Disons que la limite, c'est la limite artistique, non pas celle de la puissance des machines. Aujourd’hui on ne peut pas encore faire avec des effets spéciaux ce que j'ai fait avec le lion et l’enfant ; c'est impossible. Même avec des centaines de millions on ne peut pas obtenir ce réalisme. On le voit bien dans le trailer du Roi lion : on sent que c’est faux ; même si ce n’est pas important ici, parce c’est magique.
Peut-être que dans 20 ans on pourra se passer complètement du réel mais je ne sais pas si l’on arrivera à se passer de cette émotion là...

 


Le cinéma a fait la part belle aux relations avec les hommes, depuis Lassie : quel serait votre film culte dans ce domaine ?

J. J. Annaud est un modèle pour moi, il a été un pionnier pour ce type de film, et Les deux frères est un film inspirant.
Pour parler du "genre" plus généralement (et non de J.J. Annaud !) les méthodes ont aujourd'hui beaucoup changé.
Le contexte est beaucoup plus, non pas compliqué, mais plus éthique. Dans les années 50, 60,...etc, beaucoup de films se faisaient avec des animaux qui étaient drogués, dont les griffes avaient été coupées, les dents limées -c’est notamment ce qui se passe dans les cirques !- évidemment ça permettait de tourner avec un lion quasiment inoffensif… Aujourd’hui on ne peut plus utiliser les animaux comme on les utilisait à l'époque. D'ailleurs notre lion, qui s’appelle Thor, on l’a sorti d’une ferme de chasse quand il était bébé, sans quoi il serait mort aujourd’hui. Ce lion n’a pas été dressé : quand il ne voulait pas jouer, il ne jouait pas. Il a été traité comme un acteur à part entière sur le tournage. Le film a permis également de créer une fondation destinée à subvenir aux besoins de ce lion et de toute sa famille -qui est à ses côtés-, et ce durant toute leur vie.
Il y a beaucoup de choses qui ont évolué dans ce domaine ce qui fait que l’on a actuellement une façon de procéder qui est beaucoup plus respectueuse qu’à une certaine époque.

 

Un petit mot sur votre prochain film, Le loup et le lion : un petit air de Deux frères, d'Annaud, non ?

L'idée du Loup et du lion est venue de la rencontre de deux hommes qui "murmurent à l'oreille des animaux" : Kevin Richardson, qui murmure à l'oreille des lions, et Andrew Simpson qui murmure à l'oreille des loups. En fait j'étais présent quand ces 2 hommes se sont rencontrés. Comme ils parlaient d'animaux, je leur ai proposé d'imaginer la rencontre de deux grands prédateurs mythiques du cinéma et de faire un film d'aventure autour de ça.
Donc c'est un peu comme ça que l'idée est venue ; ce n'est pas à cause du film de Jean-Jacques Annaud.
Le fond de l'histoire c'est que ce loup et ce lion sont recueillis par une jeune pianiste qui va les élever en secret car que elle refuse de les abandonner. Ils seront enlevés puis ils vont s'enfuir pour aller la retrouver. C'est une grande aventure qui va se dérouler au Canada avec, derrière, un message autour de l'utilisation des animaux dans les cirques, de leur exploitation dans les zoos, de la maltraitance par des scientifiques.
C'est un nouvel opus autour de la défense des animaux.


Un immense merci à Gilles : j'espère que la lecture de l'interview sera aussi passionnante pour vous qu'elle l'a été pour moi